Comment utiliser la virgule pour ne pas se transformer en cannibale ?

À la fin de cet article, vous saurez comment utiliser la virgule afin d'éviter de commettre une terrible boulette qui pourrait changer tout le sens de votre texte.

La virgule est un élément de ponctuation important. Beaucoup de jeunes auteurs se demandent comment l'utiliser correctement.

Si vous faites bien vos devoirs, une recherche Google vous aura appris que la virgule sert à « séparer des mots, des groupes de mots ou des phrases, subordonnées ou non, qui ont la même fonction syntaxique. »

C'est un point de départ, mais pour l'instant, faute d'exemple, ça ne vous avance sans doute pas des masses. Encore que... relisez la phrase précédente, et même celle-ci, et vous en aurez un beau, d'exemple !

Si vous êtes une personne consciencieuse, qui a à cœur de bien faire les choses, vous aurez sans doute également interrogé votre entourage. Et il vous aura sans douté été répondu que la virgule sert de coupure pour respirer dans la phrase, ce qui est juste aussi.

Mais avec tout cela, on risque de passer à côté d'une autre des fonctions essentielles : la virgule donne du sens !

Dans cet article, je vais traiter d'un cas particulier : l'emploi de la virgule accolé à un nom. Vous allez voir rapidement que le sens d'une phrase peut être totalement changé selon que la virgule y soit présente ou non.

Démonstration :
— Venez manger, Madame Castafiore.
— Venez manger Madame Castafiore.

Dans le premier cas, c'est une invitation ; dans le second cas, c'est du cannibalisme.
Ce seul exemple pourrait suffire à clore cet article. Mais je suis écrivain, pas journaliste ; je manipule donc l'art de rendre le baratinage agréable. Continuons, voulez-vous ?

Voici un autre exemple, pour que vous saisissiez bien :

— Venez voir, Monsieur Édouard ! »
On demande à M. Édouard de venir voir quelque chose.

— Venez voir Monsieur Édouard ! »
On demande à quelqu'un de venir voir M. Édouard (est-il souffrant ?)

Si l'on parle À la personne : virgule
Si l'on parle DE la personne : rien.

Même un pro de l'argot comme Alphonse Boudart la met, lui qui prend pourtant de très grandes libertés avec la langue. Parce qu'une liberté qui s'use au détriment de la clarté perd son intérêt.

Il existe, comme toujours, des exceptions.
Par exemple, il semble que « Bonjour tout le monde ! » se passe volontiers de virgule, alors qu'en principe il en faudrait une. Peut-être que l'enthousiasme de cette expression lui permet de s'en dispenser pour n'être pas freinée dans son élan. Mais le bon usage voudrait tout de même qu'elle y soit. On écrira d'ailleurs : « Bonjour, monsieur. », malgré la brieveté de cette phrase.

Reprenez vos albums, si vous en avez, vous constaterez qu'elle est toujours bien en place. Dans certaines BD et livres récents, en revanche, on la perd quelquefois. Par amateurisme.

Alors méfiez-vous et soyez attentifs à cette compagne dont le bon usage donnera plus de mâturité à vos textes. Vous ne voudriez pas vous transformer en cannibale par inadvertance, n'est-ce pas ?

La disparition de la virgule sur les réseaux sociaux : le cas twitter

D'entre tous les réseaux sociaux — facebook, instagram, linkedin... —, twitter est celui sur lequel les règles de ponctuation se font le plus malmener. Ce n'est pas seulement la virgule, sujet de cet article, qui tend à y être ignorée, c'est même jusqu'au point de fin de phrase qui est souvent boudé, car jugé trop "sec".

D'aucuns mettraient naturellement cette disparition sur le compte du nombre limité de caractères disponibles (280 caractères). Mais cette justification ne tient plus face au cas fréquent de tweets largement en-deçà de cette limite, et qui font malgré tout l'impasse sur la moindre mise en forme ainsi que sur la syntaxe. La justification est donc autre.

Plus que tout autre réseau social, tweeter est le lieu des réactions spontanées, irréfléchies, dictées par l'émotion. À cause de ce goût d'urgence, de ce besoin de réagir vite à l'actualité qui défile, plus que sur tout autre plateforme, on y écrit comme on parle.

Il y a pourtant un drôle de paradoxe, car en considérant que le fruit de nos pensées est virtuellement ouvert au monde entier, on devrait en principe faire l'exact inverse : se surveiller et écrire avec la même réserve que l'on aurait si l'on se trouvait concrètement en face d'une assemblée d'inconnus. Et pourtant on ne le fait pas, et la plupart de s'exprimer avec une légèreté qui ne manque pas d'interroger.

Sur ce genre de réseau social, l'absence de ponctuation permet de mimer plus encore ce dialogue direct, avec la désinvolture et le franc-parler que l'on aurait en compagnie de vieux copains — quand bien même nos vrais "vieux copains" n'y sont pas toujours, anonymat oblige. C'est donc en quelque sorte du jeu de rôle. On mime la spontanéité, la proximité, et de la même façon qu'on ne tombe la cravate qu'une fois au bar avec les copains, alors on peut bien tomber la virgule devant ses followers.

(Bon, après, c'est p'têt' juste parce qu'ils sont incapables de faire autrement faute d'instruction, mdr.)

Pour moi, je garde à l'esprit que tout ce que j'envoie sur internet est virtuellement accessible au monde entier. Par amour des mots, par respect pour moi-même, ma modeste postérité et par estime de mes lecteurs, je m'applique donc à offrir des textes habillés du mieux que je peux, même s'il peut toujours arriver que certaines coquilles échappent à ma vigilance. Et si un jour vous me surprenez à tomber la virgule, ce sera probablement pour singer un code d'humour typique d'internet, comme on singeait autrefois l'accent belge ou congolais. Toujours du jeu de rôle, donc...