Théo Letna - auteur, dessinateur

Quand Angèle fut seule... avec Maurice

Leon Jean Bazile Perrault - la petite fille au bouquet de fleurs

J'ai eu le privilège de poser les mains sur une relique dans son édition originale de 1868 : Angèle, de Michel Auvray.

D'abord l'objet : je ne vous raconte pas la qualité ! Pas une feuille volante, encre toujours nette, on peut l'ouvrir en grand, rien n'est déchiré. Mais ce n'est pas le tout...

Équivalent de notre trigger warning contemporain, un long préambule nous avertit que nous sommes en "safe zone" 🧐

On apprend, en outre, que ce livre, approuvé par rien moins qu'un comité d’ecclésiastiques nommé par : SON ÉMINENCE MONSEIGNEUR LE CARDINAL ARCHEVÊQUE DE ROUEN, entre dans la collection : Bibliothèque morale de la jeunesse... Là, je suis curieux. Quelles valeurs pouvait-on vouloir leur inculquer, aux jeunes du XIXe siècle ?

extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait : Angèle, de Michel Auvray

Résumé de l'histoire

Les personnages

M. Bressier est un riche propriétaire qui a perdu sa femme et son fils. Après plusieurs années de deuil, le sentiment de solitude finit par le rattraper. Se retrouvant alité, il songe alors à deux orphelins de sa famille éloignée, qu'il décide de faire venir.

Les deux enfants sont cousins germains et ne se connaissent pas. Ils ont été élevés par des tuteurs différents. Angèle, issue d'une famille bourgeoise, est une fille instruite, belle et élégante. Maurice, maltraité chez des fermiers, est un garçon rustre, mou et débraillé.

J'attire votre attention sur les qualités que l'on voulait trouver chez une jeune fille du XIXe siècle :

« ...intelligente et spirituelle [...] elle possédait des qualités plus précieuses que les avantages éphémères de la beauté. »
extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait : Angèle, de Michel Auvray

Maurice, par contre, est différent. Sachant à peine parler, se contentant de répéter quelques pauvres phrases apprises par cœur, il prend plaisir à se salir et à torturer des petites bêtes 🦋 Il n'écoute pas et ne répond pas quand on lui parle 😶 Pourquoi est-il ainsi ? Dans l'explication, on trouve une belle notion de psychologie et d'apprentissage par le mimétisme !

Car, dans sa famille d'accueil, personne ne lui parlait jamais. Maurice est resté livré à lui-même, tel un objet encombrant, sans personne à qui parler, sans attention, sans écoute et sans estime. Laissé à l'écart des autres humains, il n'a pu développer son humanité. Il est devenu une sorte de bête fauve, à l'intellect peu développé, et à la sensibilité inerte.

Je trouve époustouflant de trouver ce genre de notion, présentée avec la simplicité du bon sens, des décennies avant Freud, et longtemps avant tous les travaux contemporains sur la psychologie et l'éducation. Notamment Maurice Berger, dont les conclusions apportées par ses travaux sur l'ultra-violence dans les banlieues, coïncident avec le cadre éducatif de notre personnage fictif. (source)

extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait article Maurice Berger

Le déroulement

Pour M. Bressier, déjà fort affecté par la perte de son épouse de son jeune fils, hors de question de s'attacher à un enfant dont tout porte à croire qu'il est déjà perdu. S'il accepte de le garder dans son environnement, il refuse toutefois de le voir tant qu'il sera dans un état aussi lamentable.

C'est Angèle qui se met en tête de sauver son cousin Maurice. À force d'attention, de compassion et de patience, elle va réussir à dégourdir cet esprit enlisé dans le malheur et l'abandon, à l'éveiller à la bonté, à la curiosité et à la piété.

extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait : Angèle, de Michel Auvray

À la piété, oui, car nous sommes dans la France chrétienne du XIXe siècle, plusieurs décennies avant la loi de septembre 1905. On nous présente un Dieu omniscient, bien sûr, mais surtout un Dieu de compassion, de bienveillance, qui est à l'écoute et dont la présence rassure.

À la fin de l'histoire, Angèle est récompensée de ses efforts et de son abnégation. À son contact, Maurice est devenu un garçon raisonnable, bon et sage, loin du petit démon qui s'amusait à arracher les ailes des papillons et à torturer une couvée d'alouettes. Le livre n'idéalise pas sa transfiguration ; Maurice ne devient pas soudainement un génie, mais au moins est-il apte à évoluer en société.

M. Bressier, heureux, finit ses jours entouré de l'affection de ses deux enfants adoptifs.

extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait : Angèle, de Michel Auvray extrait : Angèle, de Michel Auvray

Qu'en conclure ?

C'est un texte qu'on jugerait ampoulé et très fleur-bleue, peut-être même pour l'époque. Mais les valeurs transmises sont belles et intemporelles. Et puis encore, c'est un texte écrit dans un français parfaitement compréhensible, plus de 150 ans plus tard !

Ce qu'il met en relief, c'est que ni le mal ni le bien ne sont totalement innés. S'il est vrai que certains naissent avec une propension au bien quand d'autres inclinent vers le mal, il n'en reste pas moins que nous sommes tous réceptifs à notre milieu, qu'il est par conséquent toujours temps de se redresser, surtout quand on est encore jeune et moralement flexible.

Le bien se doit donc d'être enseigné et donné en exemple, avec cette réserve que notre perception de la moralité évolue génération après génération, et que chaque individu mérite une attention particulière.

Au-delà du livre ► L'exigeance d'autrefois, le renoncement d'aujourd'hui

Tout au long de ce compte-rendu sur Angèle, j'ai inclus plusieurs extraits du livre. Si vous les avez lus, vous avez pu en jauger la qualité. Souvenez-vous que cette littérature de haute volée était destinée... aux enfants. Imaginez-vous le degré d'exigence et de confiance que l'on pouvait avoir pour les jeunes esprits de l'époque, encouragés à l'intelligence et à la bonté ?

Tant par sa prose que par son récit, ce texte serait aujourd'hui inaccessible à 99% des gosses et 90% des adultes. Nous ne sommes pas seulement devenus cyniques, nous sommes devenus bêtes. Nous aurions dû progresser, nous avons régressé.

Pire encore : à de rares exceptions, nos élites aussi sont devenues à chier. Des gens sans racines, sans envergure, sans lettres.

hollande, sarkozy, delogu, ersilia soudais

Et aujourd'hui, on nous rabâche que la langue française serait trop dure, qu'il faudrait tout simplifier — autant dire tout détruire — pour que nos chères têtes blondes — qui ne le sont plus tellement, d'ailleurs — n'aient pas trop de peine à se rentrer les leçons dans la tête.

Paul Guth : lettre ouverte aux futurs illettrés

1980, Paul Guth mettait déjà en garde et publiait sa Lettre ouverte aux futurs illettrés. Le titre parle pour lui-même.

Puisque la République a failli à sa mission, puisque l'Éducation Nationale ne forme pas des citoyens éclairés et autonomes mais des ânes serviles, c'est aux parents d'assurer l'avenir de leurs enfants.

L'héritage, ce ne sont pas seulement les biens, c'est le savoir. La connaissance que l'on acquiert se transmet. Alors transmettez la connaissance, répandez-la, qu'elle germe dans les esprits.

La connaissance et le courage main dans la main feront refluer l'obscurantisme.

7 septembre 2025

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