Une pensée, c’est comme un papillon.
Tu la vois passer, et tu peux la trouver belle, tout à fait digne d’intérêt. Mais si tu la laisses filer, tu ne pourras jamais en capter toute la finesse, la subtilité, et l’entièreté de ce qu’elle a à t’offrir.
Si tu l’attrapes, en revanche, tu peux alors la passer à la loupe. Tu comprends que cette pensée diffuse qui ne se résume pour l'instant qu’à une phrase nébuleuse – fragile et discrète comme un battement d’ailes au-dessus des blés – est en réalité riche d’une réflexion profonde et complexe qui demande beaucoup plus de temps pour en tracer les contours ; exactement de la même manière que tu ne peux contempler les motifs sur les ailes du papillon qu’une fois que celui-ci s’est posé sur une fleur, ou qu’on l’a épinglé sur un tableau.
Ce que cette pensée confuse et ces paroles diffuses perdent en mystère une fois qu’elles sont devenues un exposé structuré et chapitré, elles le gagnent alors à pouvoir être partagées.
Socrate n’avait certes pas de pensées confuses, mais sa philosophie ne nous serait jamais parvenue si elle n’avait été retranscrite par quelques-uns de ses disciples.
Toute pensée bien inspirée, au départ, t’es strictement personnelle. Un battement d’ailes fugace que toi seul peux percevoir dans les méandres de ton esprit bercé de brume. Laisse-la s’agiter et elle s’enfuira ; oses détourner ton attention un seul instant et tu l’as déjà perdue.
Comment décrire la grâce de ce que tu perçois alors que tu es encore sous l’effet de la stupéfaction ?
Veux-tu alors t’aviser de le dire à voix haute pour le partager à un autre et tu t’exposes à être mal compris ; tu trébuches en bégayant, car les mots ne viennent pas. C’est normal ; chacun regarde le monde à sa manière, et personne ne voit la même chose.
Et cette idée tout juste attrapée s’agite dans tes mains comme une forcenée ; elle met à l’épreuve le bien-fondé de ta réflexion, elle veut en trouver la faille ; jusqu’à ce que, par tes cogitations, tu sois parvenu à colmater toutes les brèches, et à la fixer durablement.
Et c’est ainsi que, si tu veux la montrer au monde, afin d’en exposer toute la richesse et d’en retirer toute la gloire, il te faut dans un premier temps la saisir, afin de l’étudier, la comparer, la tracer, avant, enfin, de pouvoir la relâcher, prête à se multiplier : TON œuvre.
Ne laissez jamais s’échapper vos pensées les plus vives, vos idées les plus ardentes, sans quoi elles s’en iront en silence, sans doute pour trouver quelqu’un plus digne de les recevoir, car plus vigilant. Et vous serez bien chanceux si, de cette pensée évanouie, vous parvenez à rappeler à la surface de votre esprit rien qu’un seul fragment.
juillet 2021