De quoi hériterons-nous ? Faut-il en finir avec l’injustice de l’héritage ? Et si le sujet était moins matériel et financier que philosophique et spirituel ?
« Je fais aujourd’hui avec le legs que je me suis accordé hier… »

« Je fais aujourd’hui avec le legs que je me suis accordé hier ; ce n’est pas glorieux, mais cela suffit à ma joie. Vous qui êtes contre l’héritage, vous voudriez gommer les effets du passé, faire amnésie de tout, pouvoir perpétuellement réécrire ce qui fut selon ce que vous estimez devoir être, comme si rien ne devait durer ni n’avoir d’effet. Mais nous sommes tous des héritiers en puissance, à commencer de nous-mêmes.
Chaque action, chaque geste, chaque parole, est à la fois une pierre sur l’édifice de ta vie passée et une graine pour ton futur.
- C’est un livre que tu achètes et qui occupera dix ans un espace dans ta bibliothèque, cinq heures de ta vie et qui aura une incalculable influence sur tes pensées
- C’est cette soirée où tu préfères aller boire plutôt que te reposer, consommant l’ivresse, ta gueule de bois du lendemain, et une mauvaise semaine.
- C’est ce mot que tu ravales sur tes lèvres pincées, et qui te fera hurler plus tard en t’arrachant les cheveux.
- C’est aussi ce voyage que tu t’autorises enfin. Il te fera contempler des merveilles qui continueront d’éblouir tes yeux longtemps après que tu sois rentré à la maison, et peut-être rencontrer des amis qui logeront ton téléphone et ton cœur en les réchauffant de leurs rires.
- C’est cette graine que tu plantes un matin, et qui trois mois plus tard donnera des fleurs, et qui six ans plus tard donnera des fruits.
Nous sommes tous des héritiers ; des biens de nos parents, de leur éducation, des gènes de nos aïeux, de l’histoire de notre peuple et de notre pays. Mais surtout, surtout : nous sommes les héritiers de nos échecs, de nos réussites et de nos vœux. Nous sommes les héritiers de nous-mêmes. La première responsabilité, c’est de soi à soi. »

Il n’est pas étonnant qu’une époque qui félicite les comportements enfantins chez l’adulte ne considère la notion d’héritage que par les prismes de l’injustice et de la reproduction sociale. Ces écueils existent bel et bien et il faut les résoudre. Seulement l’héritage ne se réduit pas à cela.
Car, voyez-vous, ce sont précisément les enfants qui, n’ayant pas encore acquis le sens des responsabilités, agissent comme bon leur plaît sans considérer les causes ni les effets de leurs actes ; et sans vouloir les assumer, puisqu’elles n’existent pas à leurs yeux, ne devraient pas exister, et n’apportent que la peur par l’anticipation de réactions insoupçonnées.
L’adulte est un enfant qui a peur de son ombre.
Et si j’en parle aussi bien, c’est parce que je suis cet adulte qui, parfois, voudrait redevenir un enfant, se délester du poids de mon propre héritage (qui comporte inévitablement des erreurs), et que c’est un apprentissage pénible que de constamment se regarder agir avec les yeux du futur. Ce n’est pas mon ange gardien qui me juge, c’est mon miroir.
Et pourtant, il n’y a qu’ainsi que je peux croître, car la notion d’héritage implique la notion de temporalité.
Que le passé impacte le futur, nous le savons tous, mais qui en tient compte ?
C’est parce qu’il y a un passé et un avenir que maintenant a du sens. Sinon autant jouer à Dofus pour la 786e heure ou binge-watcher la dernière série à la mode en attendant la suivante (rappel : la mode, c’est ce qui se démode).
C’est parce que chaque seconde est héritière de la précédente que nous devons vivre en conscience.
Mais plutôt que de le voir comme un fardeau, voyons-le comme une offrande. Chaque instant donne l’opportunité de se faire un cadeau ; de soi à soi.
Non pas une pâtisserie que l’on gobe sur-le-champ et qui prépare le cholestérol de demain, mais un mot appris, qui nous resservira plus tard.
Ou la contemplation d’un tableau de maître, non pas scrollé en une seconde après avoir liké, mais le temps de plusieurs respirations, pour donner à l’image le loisir de s’imprimer dans notre mémoire ; une mission menée au bout avec succès.
Je suis héritier de ma propre personne. Et plus je m’imprègne de cette idée, plus j’ai envie de prendre soin de moi, plus j’apprends à me faire confiance, et plus je m’aime comme j’aurais toujours dû m’aimer ; non pas en tant que sigma narcissique, akà Patrick Bateman version tiktok, mais comme le compagnon de route qui était, est, et sera à mes côtés de toute éternité, ou au moins jusqu’au bout de cette aventure-là.
