Présentation de Complots sous la Lune
Écrit par Stéphane Beauverger et paru en 2021 aux éditions Posidonia, Complots sous Lune est un livre-jeu indépendant de 400 chapitres. Il est annoncé comme le premier tome d’une série, mais je vous rassure tout de suite sur ce point : le livre se suffit à lui-même et conclut convenablement son intrigue.
Contexte
On y incarne Geren de Kuln, membre d’une bande de jeunes voleurs orphelins qui se regroupent pour survivre dans une ville où le danger guette à chaque coin de rue. De retour à notre planque, on découvre que tous nos amis ont été cruellement assassinés pendant notre absence. Seul survivant, il va falloir enquêter pour trouver qui a commis ce crime et pourquoi.
Règles
Le livre bénéficie de règles un peu plus complexes que les Défis Fantastiques et de caractéristiques spécifiques (agilité, cervelle, destin, énergie) qui vous permettront d’incarner un voleur selon votre envie. Vous pouvez distribuer les points librement en sachant que de chacune de ces 4 caractéristiques découlent directement 5 compétences (combat, discrétion, discussion, perception, rapidité). Ce sont ces compétences qui serviront pour les tests. Le livre déconseille franchement de trop miser sur les statistiques de combat, considérant qu’on incarne un voleur et non pas un bretteur. La constitution du personnage demande donc un minimum de réflexion.
Sur la feuille d’aventure, on note la présence d’un emplacement dédié au casier judiciaire, et d’un autre pour les soutiens et rivaux. Il va donc falloir sociabiliser !
Les combats sont eux aussi un peu plus étoffés que de coutume, avec un système — éprouvé, et toujours efficace — d’initiative basé sur la rapidité. Le plus rapide frappe en premier, mais s’il est rapide, c’est probablement qu’il est moins fort ! Les combats sont très périlleux — plus que dans la plupart des livres-jeux —, et il est recommandé de les éviter. Selon la constitution de votre personnage, une seule blessure peut suffire à vous faire passer de vie à trépas !
Structure du récit
Le récit est scindé en trois parties :
1) La première partie permet de présenter le cadre et l’intrigue, tout en se familiarisant avec les règles. Elle compte environ une trentaine de chapitres. Efficace, elle réussit à nous immerger dans l’histoire et dans notre peau de voleur.
2) La deuxième partie constitue le gros morceau du récit. Elle offre une très grande liberté de mouvement ; on peut aller et venir à sa guise à travers les rues et les quartiers de Kuln, à la recherche d’indices, d’objets et de réponses. On y fait de nombreuses rencontres, c’est vivant, mystérieux et agréable à parcourir.
3) La troisième partie se boucle assez rapidement. Elle est relativement plus linéaire, comparativement à la précédente, mais laisse tout de même pas mal d’options, notamment pour le final. Plusieurs combinaisons d’objets ou de rencontres accumulés dans les 3 parties permettent de clore l’histoire. Ce n’est donc pas exactement un OTP.
Qualité du texte et de l’histoire
La narration emploie le tutoiement ; cela peut se justifier par le fait qu’on incarne un jeune voleur plutôt qu’un aventurier chevronné, mais en tant que lecteur, il ne faut pas s’y tromper : c’est un récit relativement sombre que je ne recommanderais qu’à partir de 12 ans.
Le style littéraire privilégie la simplicité ; l’emphase est mise sur l’action, sans recherche d’effets de style. L’aspect fantastique, bien que présent, reste discret.
L’atmosphère de la ville, soutenue par des illustrations de qualité, est très bien rendue : vivante, riche en mystères et en personnages patibulaires ; c’est véritablement le point fort du récit. L’exploration des différents quartiers — et les rencontres qui en découlent — se fait avec plaisir. La ville est bien structurée, les trajets sont courts, donc les allers et retours ne sont pas trop gênants, si toutefois vous ne restez pas coincé trop longtemps.
Les personnages sont nombreux, mais assez peu développés, car les rencontres sont brèves. Toutefois, les interactions permettent d’aboutir à un système d’alliance/rivalité qui peut tantôt ouvrir ou fermer certaines portes, vous sauver d’une situation épineuse ou vous condamner. Elles sont donc importantes et ce système encourage à prêter attention à qui l’on parle et de quelle manière.
Le principal défaut de Complots sous la Lune découle de sa plus grande qualité. Le fait d’être libre de ses mouvements pendant l’essentiel du récit a pour conséquence une baisse inévitable de la tension narrative — sans compter que peu de moments forts viennent rehausser la donne en se hissant franchement au-dessus de l'ensemble.
La dernière partie, trop courte, ne consiste qu’en un changement de cadre, mais pas d’atmosphère. Je n’ai pas ressenti, à ce moment, de réelle montée en tension. Conséquence : le final, quand bien même il a été préparé tout du long, semble arriver brusquement et ne donne pas le sentiment d’un véritable accomplissement — contrairement à la transition entre la deuxième et la troisième partie, par exemple, qui est beaucoup plus satisfaisante.
La rejouabilité est bonne grâce à la partie exploration. Il peut être amusant d’essayer différents profils de personnages et d’essayer de tracer le chemin le plus optimal.
Mise en page et illustrations
La mise en page est un peu rebutante, au départ, car le moindre retour à la ligne est suivi d’un espace blanc assez important. Les dialogues eux aussi subissent des retours à la ligne malvenus. Il y a manifestement une volonté d’aérer le texte pour ne pas effrayer le lecteur novice. Toutefois, on s’y fait rapidement.
Concernant les illustrations, le livre est TRÈS généreux ! Comptez pas moins de 40 illustrations pleine page, à quoi il faut ajouter les dessins intermédiaires. Toutes les mises à mort et tous les objets sont illustrés, ainsi que certains lieux ou personnages.
Le style à la hachure croisée de Michel Riu s’aligne sur ceux des LDVELH emblématiques. Les visages sont un peu grossiers, mais les environnements sont particulièrement à l’honneur. Tous les passages importants bénéficient d’une illustration, ce qui participe pour beaucoup au plaisir de l’exploration et à l’immersion.
Promesse tenue ?
Complots sous la Lune veut proposer une expérience immersive dans la peau d’un voleur qui doit parcourir une ville pleine de dangers ; à l'issue de ma lecture, je peux affirmer que le contrat est tenu ! On sent, de la part de l’auteur, un grand respect pour le genre du livre-jeu, avec une volonté de se distinguer des canons sans pour autant chercher à réinventer la roue.
L’histoire manque un peu de piquant, car il est difficile de maintenir une tension et un sentiment d’urgence quand l’exploration est libre et les allers et retours nombreux. Toutefois, l’exploration de Kuln est vraiment sympathique et le fait de compter sur la ruse, avec des combats limités (il y a sans doute un chemin qui permet de n’en mener aucun !), mais des tests de compétences réguliers, est rafraîchissant.
En conclusion, Complots sous la lune se hisse largement au niveau de nos livres-jeux favoris — ceux-ci n'étant pas exempts de défauts non plus. Kuln vaut d'être visitée ! Vous laisserez votre peau plusieurs fois dans les ruelles sombres de la forteresse, mais c'est justement dans le frisson de l'exploration périlleuse que réside le plaisir de cette lecture !
À qui s’adresse ce livre ?
Le livre semble chercher son équilibre, entre un cadre résolument sombre et une sorte de légèreté de ton qui transparaît aussi bien dans le texte que dans les dessins.
Quoi qu’il en soit, comme mentionné plus haut, 12 ans me semble être l’âge minimum requis pour la lecture de ce titre.
Considérant les règles légèrement plus étoffées que dans les Défis Fantastiques, l’atmosphère générale du récit ainsi que sa structure très libre, j’estime que ce livre s’adresse à un lectorat adolescent ou adulte, déjà introduit aux livres-jeux et désireux d’enrichir sa bibliothèque en s'écartant des séries phares. Tous ceux qui apprécient les environnements urbains — type Les Rôdeurs de la Nuit — s’y retrouveront !
La forteresse de Kuln n'attend plus que vous !