Le temps qui passe ne revient plus.
Le temps qui reste décroßt à chaque instant...
Cette idĂ©e mâa frappĂ© et depuis elle mâobsĂšde.
Dorénavant, chaque chose que je fais, chaque décision que je prends tient compte de cette notion.
Chaque jour est une petite mort.
Celui que tu as Ă©tĂ© durant ces 24h derniĂšres heures est mort, lui aussi. Ce que tu aurais pu faire, en ce jour qui sâachĂšve, nâest plus faisable, car cette date du calendrier est passĂ©e pour toujours, et tes projets ne pourront reprendre que demain, qui est un autre jour.
Te souviens-tu ce que font les enfants quand on leur demande leur Ăąge ? Ils ne disent pas : « jâai 4 ans â Jâai 8 ans â Jâai 12 ans⊠» Ils disent : « Jâai 6 ans et demi â Jâai 8 ans et trois mois â Jâai presque 7 ans. »
Ils le disent avec fiertĂ©, car ils ont hĂąte dâĂȘtre grands.
Ce qui caractĂ©rise un enfant, câest quâil nâa pas la notion du temps qui passe. Câest pour ça quâil peut passer des journĂ©es entiĂšres Ă jouer, Ă lire et relire les mĂȘmes albums de bande dessinĂ©e, Ă rĂȘver.
Câest cela, je crois, qui caractĂ©rise lâinsouciance.
Jâai dĂ©finitivement perdu cette insouciance Ă lâaube de mes 29 ans. Dâune certaine maniĂšre, jâai de la chance, jâai fait la fameuse crise de la trentaine avec un petit temps dâavance.
Aujourdâhui on reste enfant plus longtemps ; on devient des adulescents, trentenaires ou quarantenaires, encore fan dâHarry Potter et collectionneurs de cartes PokĂ©mons ou de Funko pop. On sâen vante. On entretient cet esprit rĂ©gressif et cela donne un rĂ©sultat que je trouve quelque peu grotesque ; celui dâadultes, dans des corps vieillissants, avec un esprit puĂ©ril, et le comportement qui va avec. Ils fuient leur Ăąge, mais le temps passe et les rides se tracent.

Georges Lorin (1850-1927) â extrait du recueil : Les gens ! (1882)
On sait tous quâon va mourir un jour, mais qui en tient compte dans sa vie quotidienne ?
Il y a une diffĂ©rence essentielle entre savoir quelque chose et en tenir compteâŠ
Nous vivons une Ă©poque trĂšs intĂ©ressante oĂč il nâa jamais Ă©tĂ© aussi aisĂ© de produire des images.
Les indiens nâaimaient pas la photographie, car ils pensaient que cela capturait leur Ăąme. En un sens, je crois quâils tenaient un bout de vĂ©ritĂ©.
Lorsque tu prends une photo de toi, ce toi sur la photo nâest dĂ©jĂ plus toi. Il est celui que tu Ă©tais au moment du flash. Et plus le temps passe, plus lâĂ©cart entre ce que tu es, et ce que tu as figĂ© sur ta photo, se creuse.
Lâimage, câest la mĂ©moire.
La mĂ©moire que tu as dans la tĂȘte sâeffiloche avec le temps, elle est imprĂ©cise et perd en nettetĂ©. Mais une photo ou une vidĂ©o en 4k, câest une mĂ©moire plutĂŽt fiable.
Autrefois, obtenir un portrait de soi Ă©tait une raretĂ©. Un buste en marbre ou un tableau de maĂźtre, ça ne se fait pas en une pression de lâindex. Câest un procĂ©dĂ© long, fastidieux, coĂ»teux. Le rĂ©sultat Ă©tait une piĂšce unique â par consĂ©quent prĂ©cieuse au point quâon se la transmette de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, puis quâon lâexpose dans un musĂ©e.
Et ceux qui nâavaient pas la richesse nĂ©cessaire pour sâoffrir un portrait, sans doute perdaient-ils plus aisĂ©ment cette mĂ©moire ; la mĂ©moire de ce quâils avaient Ă©tĂ© jadis et de ce Ă quoi ils avaient pu ressembler. Ne leur restaient alors que le prĂ©sent et un reliquat de futur qui fond seconde aprĂšs seconde, respiration aprĂšs respiration.
Pleures-tu autant sur ta jeunesse quand tu ne sais mĂȘme plus Ă quoi tu ressemblais ?
Pour nos grands-parents, les photos étaient encore plutÎt rares et les albums de photos précieusement rangés et conservés dans la bibliothÚque ; ressortis avec émotion le jour des anniversaires ou les soirs de Noël.
On pouvait ĂȘtre surpris, alors, de voir le papy sans ses cheveux blancs et la mamie avec un visage radieux de jeune femme.
Ă ce titre, avoir autant de possibilitĂ©s de se figer en images, câest peut-ĂȘtre un cadeau empoisonnĂ©. Le contraste peut ĂȘtre cruel.
Celui que tu es devenu vaut-il plus que celui que tu étais ?
Tes espoirs ont-ils été réalisés ou déçus ?
As-tu encore des rĂȘves ?
As-tu bien vécu ?
Et surtoutâŠ
Que comptes-tu faire de ce quâil te reste Ă vivre ?
Aujourdâhui, quand je regarde le celui que jâĂ©tais quelques annĂ©es auparavant, je me vois presque comme un autre. JâĂ©prouve de la tendresse pour ce garçon devenu jeune homme puis adulte, et je ressens comme un pincement au cĆur. Je veux que vivent les rĂȘves et les ambitions de lâenfant que jâai Ă©tĂ©.
6 février 2021 entre 0h31.04s et 1h21.20s du matin.